Glacestronomie
Déguster une glace, en apprécier la saveur, l’équilibre, la texture, le contact et tout ce qui reste sur le palais après qu’il n’y ai plus rien…, n’est pas le fruit du hasard. Une glace est une intention qui se construit à travers son parfum, sa texture, son spectre aromatique, sa forme. Elle est le fruit d’une recherche, pour qui veut bien chercher, et se partage avec convivialité, pour qui souhaite partager. Même la « vanille-fraise-chocolat » aura toute sa place si les parfums racontent leurs histoires, celles de notre mémoire ou celles des hommes et femmes qui ont œuvré à leur création.
PARFUM
Le parfum est avant tout un accord de saveurs, avec une intention bien définie. Un parfum s’imagine et se dessine avec ce que l’ingrédient principal nous inspire et la façon dont il est lié à notre mémoire olfactive. Il va chercher à se frayer un chemin parmi l’infinité des combinaisons possibles et imaginables. Et puiser très profondément dans nos souvenirs et nos émotions.
>> DESSINE MOI UN PARFUM ?
GLACE SARRASIN HOJICHA
Comment imaginer un parfum gourmand ou voyageur autours du sarrasin? Quand qui dit « sarrasin » se retrouve à faire volte-face à toute la Bretagne. Ses galettes de blé noir . Sa naturalité brute et sauvage . Ses vents et marées. Les fragrances boisées et grillées du sarrasin, puissantes et profondes. Même les yeux fermés, les accords sont intenses: miel, muscavado, fleur de sel, saveurs torréfiées. Torréfié? Les errances de mes souvenirs arrêtent mon esprit sur le hojicha, ce thé japonais grillé . Comment expliquer cela ? Cette espèce de curiosité qui nous pousse à suivre un chemin, puis un autre, au hasard des rues, nous menant tout droit quelque part … qui ne nous est pas si inconnu ! Imaginer le sarrasin et le hojicha, c’est déjà la promesse d’un thé qui aurait une présence discrète, soulignant les notes torréfiées et végétales du sarrasin. Une légèreté à peine soutenue qui se dilaterait dans le temps. L’envie d’une glace, toute en finesse. Prendre le contre-pied de cette matière brute. Fraicheur lactée, pour être radicalement inattendue. Onctuosité, parfaite, lisse et souple…
TEXTURE
La texture d’une glace n’a aucune raison d’être identique à celle d’un sorbet. La matière grasse, l’eau et le sucre marquent toute leurs différences. Il serait presque dommage que toutes les glaces aient la même texture, aussi parfaites soient-elles (dixit nos amis Italiens qui ne jurent que par la « texturosité » souple et onctueuse de leurs glaces). Car ce qui est intéressant est précisément d’explorer toutes ces différences, les reconnaitre, les perdre, les retrouver, les rater et comprendre tout ce qu’elles laissent comme traces en bouche. Rechercher une texture spécifique pour un effet ou un résultat particulier. Une texture granitée, pour sa fraicheur ou son croquant, ou une autre plus crémeuse, pour sa rondeur et son réconfort. Nous avons identifié 3 grandes familles de textures: crémeuse, granité et végétale.
La texture crémeuse est très souple et onctueuse. En fonction de ce que l’on recherche au contact palais et ou sur la langue, la densité peut être soit laiteuse et légère, soit riche et épaisse. On utilisera le plus souvent du lait entier, de la crème (fraiche ou légère), enrichie en poudre de lait, jaune d’œuf, beurre etc.

Une texture granitée est plutôt croquante ou aqueuse. Elle claque sur la langue. Elle est légère, clairsemée ou dilatée. Cette texture est souvent appropriée pour les fruits qui sont associés au rafraichissement (concombre, melon, pastèque, agrumes). On peut également la retrouver avec une glace au lait et au fruit. Pour cela on privilégiera plutôt l’eau ou lait seul ou demi-écrémé.
La texture végétale est un entre-deux. Elle a de la consistance et de la densité. Elle apporte de la structure. Elle peut avoir différents degrés de souplesse mais ne sera ni moelleuse ni crémeuse. Elle est idéale pour des fruits et ingrédients qui ont naturellement des textures épaisses et des parfums francs et intenses. Elle se situe volontairement entre les textures crémeuses et granités. On aura le plus souvent recours aux laits végétaux somme le lait de soja, lait d’amande, lait de noisette etc.
>> TROIS HISTOIRES D’AGRUMES
Pour prendre en exemple 3 agrumes des plus connus, le citron-vert, le citron-jaune et le yuzu, nous allons voir comment les parfums de glace ont été imaginés avec singularité. Ces agrumes qui ont en commun une forte acidité et une vive attaque en bouche, ont chacun des notes de fonds aromatiques très distincts. Un peu plus d’amertume chez le citron-vert; des fragrances d’abricot-mandarine chez le yuzu, et de l’acidulé plus que de l’acidité chez le citron jaune. Rechercher ce qui va les singulariser, c’est faire appel à sa mémoire et à ses ressentis pour adopter un parti-pris. Faire des choix cohérents en termes de textures, de spectres aromatiques, puissance, accords ou équilibre. Et raconter 3 histoires différentes.
>> GLACE LEMON CURD
Citron Jaune.
Qui aime le citron jaune, aime la vivacité et l’acidité de l’agrume. Mais que faire lorsque ce n’est pas notre tasse de thé? Le citron, oui, mais l’acidité, bof. Pas du tout envie d’un sorbet au citron acide, comme si on croquait le fruit à pleines dents. C’est là qu’est l' »os et pas que l’hélice ». Mais les méandres de l’imagination sont infinies et sûrement pénétrables car c’est à l’esprit de contradiction que je dois cette sortie honorable. Prendre le contre-pied du citron, le travailler en opposition, avec de beaucoup de douceur, de rondeur, de crémosité. Et qui ne pense pas aussitôt au lemon-curd ou à la crème de citron? Légèrement revisitée, bien sûr. Le parfum vient de dessiner.
Trop facile ? Le lemon-curd comme son nom l’indique est une crème cuite au citron. Et une recette qui n’a aucun mystère, aucune surprise. Et pourtant, la réalisation de cette glace compte parmi celles qui nous ont donné le plus de fils à retordre.
La texture qu’on retiendra sera celle d’une base crémeuse, douce, lisse qui pourra être enrichie en crème et en beurre. On a surtout envie que cette glace ait la qualité d’être très glissante sur la langue, sans que ni gras ni crème ne puisse venir l’accrocher. Quand à l’aromatique, les ingrédients crémeux permettrons d’adoucir l’acidité et mettre en valeur l’acidulé du fruit avec une bonne longueur en bouche.
La difficulté technique est que l’acidité du citron fait coaguler le lait et séparer la matière grasse du beurre. Et il ne suffit pas de se contenter de suivre pas à pas les étapes de la recette pâtissière. Plusieurs tentatives se sont soldées par de cuisants échecs. Granuleuse ou friable, voir les 2 à la fois, loin d’être souple et lisse, loin du résultat recherché ! Après des journées entières à s’arracher les cheveux, nous avons décidé de séparer la cuisson du citron de celle de la crème. Et pas que pendant la cuisson, la séparation a été maintenue également pendant la phase de maturation. C’est cette petite astuce qui a nous permit de retrouver toute l’onctuosité tant « attendue » de cette glace. Comme quoi, la vie ne tient pas à grand chose.
SPECTRE AROMATIQUE
Le développement aromatique d’une glace est particulièrement complexe car les arômes se développent à travers le temps et une belle plage de températures allant de -10°C à +37°C. Il sollicite également différents organes olfactifs tels que la langue, la gorge et le nez. Rien de très nouveau puisqu’on retrouve ces caractéristiques dans le vin et les parfums, à la différence près que le point départ de la température est beaucoup plus bas, car en dessous de zéro degré. Certains épices et hydrolats parfois se perdent à cause des températures qu’ils ont du traverser.
>> SORBET CITRONNADE DA CHANH
Citron vert.
Les premières associations d’idées autours du citron-vert vont droit vers le Vietnam, en raison de mes origines. Mais aussi vers Cuba pour les souvenirs impérissables de Mojito sirotés à l’ombre d’une magnifique terrasse d’un ancien bâtiment colonial à Santiago de Cuba. Le citron-vert s’invite à l’esprit comme une boisson, une envie de citronnade « nuoc da-chanh » avec un quart de citron-vert pressé, une dose de sucre de canne, beaucoup d’eau et des glaçons. Très frais, léger et désaltérant et si voyageur. Le parfum vient de dessiner.
Texture & spectre aromatique. Comment faire pour qu’une glace soit aussi fraiche et légère qu’une citronnade ? Le point de départ, c’est le choix d’une base de sorbet à la texture plutôt granitée pour apporter le côté frais de la boisson. Du point de vue aromatique, tout comme la citronnade, c’est une attaque en bouche très légèrement acidulée que nous allons rechercher. Pour arriver en fin de course sur une forte sensation désaltérante. Le sucre doit être présent pour équilibrer l’acidité, sans persister ni envahir la bouche. L’eau doit également apporter sa part de rafraichissement.
En réalité, la difficulté technique de la citronnade est de taille. Avec moins de sucre et/ou plus d’eau, le point de fusion monte, la glace durcit et la texture devient friable. Techniquement, comme les jus d’agrumes ont par nature peu de matières sèches, les sirops doivent compenser par beaucoup plus de sucre. Pour aboutir à cette idée de la citronnade, il nous a fallut presque 2 ans pour ajuster la recette. Mais avec le temps la technique a mûrie et la cerise sur le gâteau, c’est que nous avons réussi à apporter un léger crissement sous la dent, sans casser la texture.

La longueur en bouche est un élément clé. Elle doit être recherchée et travaillée pour toutes les saveurs qui ont une forte attaque et qui se perdent rapidement dans le temps. Les sorbets pleins fruits sont parfois « ennuyeux » car mis à part l’impression de croquer dans un fruit glacé, il n’y que peu ou pas de développements aromatiques. Identifier les notes, les parfums, les saveurs spécifiques et trouver les moyens de les imprimer. La matière grasse de la crème, du beurre ou du beurre de cacao, sont autant d’ingrédients qui permettent d’imprimer les arômes. Dans un autre registre, le lait soja peut également apporter un soutien plus végétal. Enfin, la recherche d’accords est tout aussi essentielle pour révéler les spectres aromatiques, qui fait partie du travail sur la longueur en bouche.
La rétro-olfaction est un développement aromatique qui démarre sur la langue, passe dans la gorge et fini par le nez. La moutarde ou le wasabi ont ce type parcours. Il est possible de construire des compositions beaucoup plus gourmandes et subtiles en jouant avec cette séquence organoleptique. Nous en verrons le parfait exemple avec le parfum ci-dessous.
>> GLACE VÉGÉTALE YUZU PIMENT D’ESPELETTE
Un défi organoleptique.
Le yuzu est un agrume aux notes très subtiles d’abricot et de mandarine qu’il est difficile de mettre en valeur en raison de cette attaque acidulée et courte en bouche. L’imaginaire autour de ce parfum a nécessité une longue phase de réflexion. Faire confiance à son intuition. L’aborder comme une fragrance parfumée. Lui donner quelque chose d’aérien, de subtil et de fin, telle une forme d’aboutissement au plus extrême du raffinement Japonais. On tenait à peine un bout du fil d’Ariane entre les doigts.
S’agissant du choix de la texture rien n’était déterminé, mais rien qui puisse se rapprocher des près ou de loin à une crème au yuzu, déjà très largement répandue en pâtisserie.
Le principe de cohérence des produits, auquel nous sommes tant attachés, a été d’une aide précieuse : cohérence des origines ; 2 ingrédients clés ; le lait de soja et le piment. Tous 2 issus du Japon, mais abordés dans une réflexion organoleptique. Le lait de soja est utilisé pour apporter de la douceur, de la longueur en bouche et une note végétale. Le piment d’Espelette, quant à lui, est utilisé pour son effet révélateur d’agrume dans l’accord piment-poivron-orange (déjà expérimenté dans un sorbet poivron rouge et orange sanguine). Ce dernier, bien moulu, apporte une jolie couleur abricot. La texture est soyeuse.
Les équilibres se construisent sans difficulté. On sait désormais ce que l’on cherche. Néanmoins, ce parfum figure parmi ceux qui ont un développement aromatique des plus complexes. Le yuzu est léger en attaque, mais conserve une belle longueur en bouche, par-dessus lequel viennent s’imprimer les notes d’abricot et de mandarine. Le piment d’Espelette dégage son arôme léger en bout de course, et souligne la note d’agrume, en retour, au nez de manière très douce. C’est un profil aromatique de type retro-olfaction. Tous les arômes se développent de la bouche vers le nez, en passant par le palais, avec finesse et subtilité pour finir leurs courses sur une légère fraicheur agrumée.
FORME
Quelle forme ? La glace, quand elle est conçue à l’issue d’une recherche aromatique, se déguste aussi simplement que du vin. Pas de fioritures inutiles. On ne décore pas un verre de vin de tous ses apparats pour le rendre plus désirable ou mystérieux. Simple, avec de belles courbes, le verre à vin, doit lui permettre de vivre, respirer et exhaler ses notes aromatiques au fur et à mesure que l’oxydation et la température changent. Une glace servie sur un simple biscuit ou sur une assiette à dessert sont largement suffisants pour déguster et découvrir les fragrances d’un parfum glacé. Tout comme une dégustation de vin, ce à quoi il faut faire attention ce sont la température et le temps nécessaire pour apprécier tout ce qui va se jouer dans notre palais. Un environnement calme et paisible, propices à la dégustation, chez soi (tranquilou bilou) ou entre amateurs et légers plaisantins. La glace n’a pas besoin d’être revêtue d’une forme.

ENTREMET
Peut-être que le point de vue précédent est un peu radical, car le plaisir des yeux est avant tout ce qui fait fonctionner nos sociétés. Bien sûr, la glace peut se construire en accord avec d’autres ingrédients en dessert ou en dressing. Quelle part de légèreté, de croustillant ou de contraste doit-on apporter à la glace pour un entremet ? Quelle dose de sucre risque t-on d’ajouter avec certains ingrédients tels que la meringue, le biscuit, le topping, le coulis, et jusqu’où peut on aller sans « casser » les parfums ?
Méditation sur le vacherin.
Le plus grand de nos chagrins avec le vacherin, c’est qu’il se solde le plus souvent par un bloc de glace, fait de 2 couches de parfums, engoncé dans une meringue dure et sucrée et accoutrée d’une crème chantilly comme s’il s’agissait d’en faire oublier les vilains défauts. Même joliment exécuté ou redessiné par nos très grand chefs papatissiers, il n’en reste pas moins un petit bloc de glace avec le risque que la meringue finisse en débris dans les commissures des lèvres… bref, pas ouf.
Pourtant à bien y réfléchir, le triptyque meringue-chantilly-glace est une combinaison merveilleuse. La meringue apporte de la légèreté à la glace, tant qu’elle reste légèrement crissant, friable et peu sucrée (là est la vraie difficulté). Tandis que la crème fouettée apporte une texture aérienne et enveloppante, idéale pour soutenir ou faire la transition entre la meringue et la glace. Un vacherin à l’assiette, monté à la minute, trop whaou!
Ice Ball meringué
Cette petite boule meringuée est née d’une exposition sur les ingrédients, textures et matières brutes, imaginée et conçue par Carole B., pâtissière designer. Elle avait fabriqué à cette occasion d’énormes sphères de meringue, d’une blancheur magnifiquement poudreuse.
Trop délire, l’envie d’imaginer ces boules garnies de glace. Mais surtout pas garnies d’un bloc de glace (boudiou!) Plutôt en alternances successives de couches meringue-chantilly-glace pour en restituer la légèreté. Ainsi, la meringue est insérée entre une couche de base de crème fouettée (plus dure à l’extérieure) et d’une couche de glace (plus molle à l’intérieur). Ce qui fût fait pour les éditions Noël de 2013 à 2016. Et ce qui ne fût plus fait depuis, mais qui sait?

RECHERCHE
La recherche est le quotidien de l’artisan qui œuvre. Pas la recherche du « résultat» mais la recherche des « moyens », le fond, l’underground, ce qui ne se voit pas. Celle qui s’interroge sur les matières qu’on travaille, les techniques qu’on utilise, ce qu’on pourrait améliorer ou changer par conviction, les idées qu’on poursuit et les choses qu’on fait sans réfléchir. La recherche est une quête si vaste qu’il est impossible de la limiter ou de l’arrêter. Tant qu’on se pose des questions et que la curiosité nous mène au-delà des limites que nous connaissons, il y a de la recherche.
INGREDIENT
Nous portons une infinie attention sur la bonne éducation de nos ingrédients: Bios, locaux quand c’est possible et cohérents; c’est la qualité des produits, la personnalité des producteurs et leur travail qui priment. C’est parce que les produits, aussi simples ou exceptionnels qu’ils soient, sont avant tout le résultat du travail des hommes et des femmes. Les bons produits, sont avant tout un travail d’excellence qui doit être mis à l’honneur par les simples alchimistes que nous sommes, à travers les textures, les saveurs et les accords. [Nos bons producteurs]
CONVIVIALITE
« Ce n’est pas parce qu’on fait des choses complexes qu’on doit les rendre complexes…». La convivialité c’est vous accueillir sans « chichi », avec simplicité, bonne humeur et facilité. C’est réussir à faire découvrir tout le chemin de nous venons de parcourir, ainsi que le temps que nous avons mis à faire et à créer. C’est aller vers un public moins aguerri (évènementiel « hors les murs », Paris Plages…) avec pour simple devise « pas de vanille-fraise-chocolat » pour bousculer les habitudes. C’est se donner les moyens de faire découvrir ce qu’il y a de plus simple au plus complexe, ce qu’il y a de plus surprenant dans les créations de parfums. Sans snobisme, ni élitisme. Déguster, explorer et s’ouvrir à d’autres horizons. Se rencontrer et échanger avec une belle convivialité !
Ce texte, créé par Thai-Thanh DANG, est protégé par des droits d’auteur. Toute utilisation non autorisée est interdite. Contactez-nous à mail@latropicaleglacier.com pour toute demande d’utilisation. @Copyright La Tropicale Glacier 2017.