SPECTRE AROMATIQUE
Le développement aromatique d’une glace est particulièrement complexe car les arômes se développent à travers le temps et une belle plage de températures allant de -10°C à +37°C. Il sollicite également différents organes olfactifs tels que la langue, la gorge et le nez. Rien de très nouveau puisqu’on retrouve ces caractéristiques dans le vin et les parfums, à la différence près que le point départ de la température est beaucoup plus bas, car en dessous de zéro degré. Certains épices et hydrolats parfois se perdent à cause des températures qu’ils ont du traverser.
>> SORBET CITRONNADE DA CHANH
Citron vert.
Les premières associations d’idées autours du citron-vert vont droit vers le Vietnam, en raison de mes origines. Mais aussi vers Cuba pour les souvenirs impérissables de Mojito sirotés à l’ombre d’une magnifique terrasse d’un ancien bâtiment colonial à Santiago de Cuba. Le citron-vert s’invite à l’esprit comme une boisson, une envie de citronnade « nuoc da-chanh » avec un quart de citron-vert pressé, une dose de sucre de canne, beaucoup d’eau et des glaçons. Très frais, léger et désaltérant et si voyageur. Le parfum vient de dessiner.
Texture & spectre aromatique. Comment faire pour qu’une glace soit aussi fraiche et légère qu’une citronnade ? Le point de départ, c’est le choix d’une base de sorbet à la texture plutôt granitée pour apporter le côté frais de la boisson. Du point de vue aromatique, tout comme la citronnade, c’est une attaque en bouche très légèrement acidulée que nous allons rechercher. Pour arriver en fin de course sur une forte sensation désaltérante. Le sucre doit être présent pour équilibrer l’acidité, sans persister ni envahir la bouche. L’eau doit également apporter sa part de rafraichissement.
En réalité, la difficulté technique de la citronnade est de taille. Avec moins de sucre et/ou plus d’eau, le point de fusion monte, la glace durcit et la texture devient friable. Techniquement, comme les jus d’agrumes ont par nature peu de matières sèches, les sirops doivent compenser par beaucoup plus de sucre. Pour aboutir à cette idée de la citronnade, il nous a fallut presque 2 ans pour ajuster la recette. Mais avec le temps la technique a mûrie et la cerise sur le gâteau, c’est que nous avons réussi à apporter un léger crissement sous la dent, sans casser la texture.
La longueur en bouche est un élément clé. Elle doit être recherchée et travaillée pour toutes les saveurs qui ont une forte attaque et qui se perdent rapidement dans le temps. Les sorbets pleins fruits sont parfois « ennuyeux » car mis à part l’impression de croquer dans un fruit glacé, il n’y que peu ou pas de développements aromatiques. Identifier les notes, les parfums, les saveurs spécifiques et trouver les moyens de les imprimer. La matière grasse de la crème, du beurre ou du beurre de cacao, sont autant d’ingrédients qui permettent d’imprimer les arômes. Dans un autre registre, le lait soja peut également apporter un soutien plus végétal. Enfin, la recherche d’accords est tout aussi essentielle pour révéler les spectres aromatiques, qui fait partie du travail sur la longueur en bouche.
La rétro-olfaction est un développement aromatique qui démarre sur la langue, passe dans la gorge et fini par le nez. La moutarde ou le wasabi ont ce type parcours. Il est possible de construire des compositions beaucoup plus gourmandes et subtiles en jouant avec cette séquence organoleptique. Nous en verrons le parfait exemple avec le parfum ci-dessous.
>> GLACE VÉGÉTALE YUZU PIMENT D’ESPELETTE
Un défi organoleptique.
Le yuzu est un agrume aux notes très subtiles d’abricot et de mandarine qu’il est difficile de mettre en valeur en raison de cette attaque acidulée et courte en bouche. L’imaginaire autour de ce parfum a nécessité une longue phase de réflexion. Faire confiance à son intuition. L’aborder comme une fragrance parfumée. Lui donner quelque chose d’aérien, de subtil et de fin, telle une forme d’aboutissement au plus extrême du raffinement Japonais. On tenait à peine un bout du fil d’Ariane entre les doigts.
S’agissant du choix de la texture rien n’était déterminé, mais rien qui puisse se rapprocher des près ou de loin à une crème au yuzu, déjà très largement répandue en pâtisserie.
Le principe de cohérence des produits, auquel nous sommes tant attachés, a été d’une aide précieuse : cohérence des origines ; 2 ingrédients clés ; le lait de soja et le piment. Tous 2 issus du Japon, mais abordés dans une réflexion organoleptique. Le lait de soja est utilisé pour apporter de la douceur, de la longueur en bouche et une note végétale. Le piment d’Espelette, quant à lui, est utilisé pour son effet révélateur d’agrume dans l’accord piment-poivron-orange (déjà expérimenté dans un sorbet poivron rouge et orange sanguine). Ce dernier, bien moulu, apporte une jolie couleur abricot. La texture est soyeuse.
Les équilibres se construisent sans difficulté. On sait désormais ce que l’on cherche. Néanmoins, ce parfum figure parmi ceux qui ont un développement aromatique des plus complexes. Le yuzu est léger en attaque, mais conserve une belle longueur en bouche, par-dessus lequel viennent s’imprimer les notes d’abricot et de mandarine. Le piment d’Espelette dégage son arôme léger en bout de course, et souligne la note d’agrume, en retour, au nez de manière très douce. C’est un profil aromatique de type retro-olfaction. Tous les arômes se développent de la bouche vers le nez, en passant par le palais, avec finesse et subtilité pour finir leurs courses sur une légère fraicheur agrumée.